Page:Féval - Les contes de nos pères, 1845.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LE PETIT GARS.

— Chez qui sommes-nous, mon brave homme ? demanda-t-elle.

— Pierre-Paul ne revient pas ! répéta tristement le vieux valet, qui se nommait Bernard : — pour sûr, il y a du nouveau… Et Dieu sait ce que c’est que le nouveau, par le temps qui court !

— Madame vous demande chez qui nous sommes, dit Marguerite étonnée qu’on tardât à satisfaire sa maîtresse.

— Ça, c’est une autre affaire, répondit Bernard sans se presser. La prudence est la mère de toutes les vertus, et vous êtes peut-être la femme de quelque maudit… respect de vous tout de même !… de quelque maudit bleu.

— Je suis Henriette de Lanno-Carhoët, femme de monsieur de Thélouars.

— Jésus Dieu ! s’écria Bernard : — la nièce de monsieur le marquis !… Et moi qui ne la reconnaissais pas !…

— Serais-je donc ici à Graives… chez mon oncle ? demanda Henriette.

— Notre bonne dame, dit humblement Bernard, je me fais vieux ; mes yeux se perdent, et puis, il y a si longtemps que je ne vous avais vue !… Sans mentir, vous avez fièrement grandi… Mais j’y pense, je vais prévenir monsieur le marquis.

Henriette l’arrêta.

— Ne troublez point le sommeil de mon oncle, dit-elle.

— Son sommeil ! répéta Bernard avec mystère et tristesse ; — il ne dort pas… il ne dort plus ! On dit que les serviteurs de Sa Majesté… je prie Dieu de les bénir… lui ont confié un dépôt, quelque chose de précieux… de plus précieux que l’argent et que l’or… Il garde, il veille, la nuit, le jour, sans cesse… Ah ! notre bonne dame, c’est un rude