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JOUVENTE DE LA TOUR.

rennais, — à moins qu’on ne préfère gagner le gué qui est à six lieues d’ici, au-dessus de la ville de Dinan.

L’étranger retourna tristement ses poches : elles étaient vides.

— Mes pieds saignent et je suis bien las, murmura-t-il ; mais il me faudra remonter jusqu’à la ville de Dinan, afin de trouver le gué.

— Ne faites point cela, mon compagnon, dit Jouvente, touché de compassion ; entrez dans mon bateau, je vous passerai pour l’amour de Dieu.

L’étranger n’eut garde de faire la sourde oreille. Il sauta dans le bac assez lestement malgré sa fatigue, et s’assit à l’arrière auprès du gouvernail. C’était un homme arrivé à cette période de la jeunesse qui précède immédiatement l’âge mûr. Il était beau ; sa riche chevelure noire tombait abondamment sur son front sans rides ; il y avait du feu dans sa prunelle, et ses façons étaient celles d’un noble homme. Jouvente ramait, le dos tourné à l’avant de la barque, de sorte que l’étranger et lui se trouvèrent face à face. Tous deux se regardèrent et tous deux eurent la même pensée.

— Dans un combat corps à corps, se dirent-ils chacun à part soi, mon voisin ferait rudement sa partie.

Mais c’était là une pensée vague et inspirée seulement par les mœurs batailleuses de l’époque. Loin d’avoir motif de querelle, Jouvente et l’étranger se devaient assistance et bon vouloir mutuel à cause du service rendu. En arrivant au bord ils se serrèrent la main.

— Mon compagnon, dit l’étranger, je prie Dieu qu’il me permette de vous payer ma dette quelque jour. En ce moment, je ne suis qu’un pauvre voyageur, sans ressource et