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LE MÉDECIN BLEU.

— René est parti, mon père.

— Dieu soit loué !… On ne peut dire à un homme : Change de croyances ; mais on peut lui ordonner, au nom de la religion universelle, de fuir quand il y a autour de lui des occasions de crime… Je comptais voir votre frère, Sainte : c’était là le motif de ma présence en un lieu où je suis désormais proscrit.

— Ne pourriez-vous demeurer quelque temps parmi nous ? demanda la jeune fille ; le pays est maintenant tranquille…

— Tranquille ! répéta le vieillard en hochant la tête ; plût au ciel qu’il en fût ainsi, ma fille ! mais des signes que vous ne sauriez apercevoir annoncent une tempête à mes yeux plus clairvoyants… Non ! je ne puis rester ; lors même que ma tranquillité personnelle serait assurée, je ne pourrais rester encore… Mon devoir m’appelle, ma fille, et la vie du prêtre n’est qu’une longue obéissance à la voix du devoir.

Il prit la main de Sainte et la serra entre les siennes.

— Vous êtes bonne, continua-t-il, je puis le dire, moi qui lis dans votre jeune cœur comme dans un livre ouvert. Si les orages politiques pouvaient être conjurés par l’influence d’une âme angélique, votre père et tout ce qui vous est cher seraient à l’abri… mais c’est une haine folle et furieuse que celle qui pousse les uns contre les autres les enfants d’une même patrie. C’est une haine implacable, qui rend aveugle et sourd, qui durcit le cœur et le ferme à tous les sentiments de la nature… Priez Dieu, Sainte, priez !… mais travaillez aussi, et souvenez-vous que, dans ces luttes dénaturées, le rôle d’une femme chrétienne est tout de charité, de paix et de clémence. Commencez donc, enfant, votre rôle de femme,