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LES CONTES DE NOS PÈRES.

et soyez, au milieu de nos discordes intestines, l’ange de la conciliation et de la pitié !

Avant que la jeune fille eût le temps de lui répondre, l’ancien curé de Saint-Yon s’inclina profondément devant la croix de son église, et disparut derrière les ifs touffus du cimetière.

Sainte était triste, mais elle se sentait forte et courageuse. Ce rôle, que le prêtre venait de lui tracer, c’était celui qu’elle avait choisi d’elle-même dès que sa jeune intelligence avait pu entrevoir et comprendre le malheur des temps. Chouans et Bleus étaient également ses frères.

— Je serai toujours du parti des vaincus, se dit-elle, et Dieu me récompensera en faisant qu’un jour mon père et mon frère se retrouvent et s’embrassent.

Elle rentra. La nouvelle du départ de son fils fut un coup terrible pour le médecin bleu. Jusqu’alors il avait espéré le ramener à ses propres croyances, mais tout espoir était perdu désormais.

— J’ai donc assez vécu, s’écria-t-il, pour voir mon fils devenir le suppôt des tyrans !

Sainte n’essaya point en ce moment de prendre la défense de son frère. Il fallait, pour ce rôle conciliateur qu’elle s’était imposé, non-seulement de la bonne volonté, mais aussi de la prudence et de l’adresse. Elle attendit.

Ce soir-là, le citoyen Saulnier refusa de prendre part au modeste souper que lui avait préparé Sainte. Il se retira dans sa chambre en silence, et passa la nuit en proie à une fièvre ardente. La fuite de René avait doublé tout d’un coup sa haine contre les partisans des princes exilés. Il accusait les Chouans d’avoir séduit son fils, et de l’avoir entraîné dans leurs ténébreuses associations.