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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— Avons-nous bien encore une lieue ?

— Une lieue ! répéta le Guichenais d’un ton goguenard.

— Une demi-lieue ?

— Ma fà dame nenni, notre monsieur.

— Combien donc ?

— Faut pas mentir !

Ce disant, le Guichenais souleva de nouveau son grand chapeau, et remit à l’amble son bidet poitrinaire. Je dus m’avouer que cette réponse évasive, dont abuse avec un sarcastique plaisir le paysan d’Ille-et-Vilaine, contient un précepte profondément recommandable, et je continuai ma route en tâchant de me convaincre que c’était là une excellente plaisanterie.

Au premier détour de la route, je retrouvai mon Guichenais agenouillé auprès de son bidet, lequel gisait à terre et agonisait.

C’est toujours ainsi au champ d’honneur que meurent les coursiers de Guichen ; il n’y a pas d’exemple qu’une seule de ces héroïques bêtes ait rendu le dernier soupir sur la litière. — Le Guichenais se lamentait fort, et répétait sur tous les tons :

— Je suis ruiné, aussi vrai que je m’appelle Joson Férou ! Et il tâchait de relever son cheval, qui remuait convulsivement ses quatre pattes, et s’éteignait dans un suprême accès de toux. Quand le bidet fut mort, le Guichenais joignit ses mains, courba la tête, et prononça avec accablement :

— Faut pas mentir !

Ce dicton n’a point son pareil dans le monde. Il pourrait au besoin remplacer les vingt mille mots du vocabulaire et leurs diverses combinaisons.