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LE VAL-AUX-FÉES.

La douleur du pauvre diable me toucha, et, oubliant ma rancune, je mis la main au gousset, d’où je tirai une pièce de six livres. Je la présentai à Joson Férou.

Il prit la pièce et la pesa. Puis il ôta son large chapeau dont il tourna les bords entre ses doigts avec embarras.

— Not’ monsieur, dit-il, merci tout de même, ça, c’est la vérité ; mais la bête ne valait que quatre livres dix sous… Ma fà dame oui.

Ceci me fit augurer que cent écus de rente devaient représenter à Guichen une écrasante opulence. — Il va sans dire que mon Guichenais me donna tous les renseignements que je voulus, il gagnait trente sous à la mort de son bidet, ce qui compensait bien un peu les angoisses de la séparation. Nous fîmes route ensemble.

Nous venions de descendre une côte roide et bordée des deux côtés par des talus taillés à pic dans la pierre rose qui abonde aux alentours. La route se bifurquait au fond du ravin. L’une des deux branches, étroit sentier peu fréquenté sans doute, car le gazon croissait au milieu de sa voie, tournait à gauche, et se perdait en courant tortueusement dans la vallée : l’autre branche, qui était la continuation du grand chemin, grimpait en spirale le long de la côte opposée. — Ce lieu était triste, désert, et son aspect sauvage me serra le cœur.

— Comment nomme-t-on ce ravin ? demandai-je au Guichenais.

— Sauf respect, notre monsieur, c’est le Val…

Joson s’interrompit et se signa.

— Le Val-aux-Fées, sauf respect ! ajouta-t-il.

En Bretagne, ce gracieux nom de fée n’éveille que des pensées de terreur. La fée bretonne est vieille, laide, noire,