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Page:Féval - Maman Léo, 1869.djvu/120

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lui porter le poison qu’il m’avait demandé.

Elle s’interrompit, ajoutant d’un ton paresseux et de manière à être entendue par l’espion qui, selon elle, était aux écoutes :

— J’ai de la peine à me rendormir, parce que tu m’as éveillée en frayeur.

— Vous le voyez, poursuivit-elle de cette voix murmurante qui certes ne pouvait aller jusqu’à l’alcôve, j’ai toute ma présence d’esprit, et Dieu sait qu’elle n’est pas de trop pour combattre l’épouvantable danger qui nous entoure ! Si j’ai pu quitter cette demeure et pénétrer dans la prison de la Force, où Maurice a été transféré depuis quelques jours, c’est que mes geôliers, à moi qui suis aussi prisonnière, ont favorisé mon dessein. Je ne pourrais prouver cela, mais j’en suis sûre. Nous jouons, eux et moi, une partie étrange, une partie mortelle, ils sont nombreux, ils sont rusés comme des démons, et moi je suis toute seule, et moi je ne suis qu’une pauvre enfant ignorante de la vie. Mais Dieu peut-il être pour le mal contre le bien ? L’espoir me reste, je garde mon courage, parce que j’ai confiance en la bonté de Dieu.

Elle se sentit pressée contre le cœur de la dompteuse qui battait à se rompre.

— Oui, reprit-elle, je vous comprends, bonne Léo, j’ai tort de parler d’abandon puisque vous êtes là, mais c’est précisément la bonté de Dieu qui vous envoie, et jusqu’à l’heure où nous sommes, je peux bien dire que j’étais seule. Ne m’interrogez pas, je sais ce que vous voulez me demander : les gens qui m’entourent sont de deux sortes, et certes, Mme la marquise d’Ornans,