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Page:Féval - Maman Léo, 1869.djvu/184

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tion tout entière. À force de jouer au fin, cet esprit, qui était véritablement fort autrefois, et lucide, et plein de ressources, je n’ai pas l’intention de le rabaisser, en est arrivé à des subtilités enfantines, à des complications séniles. Il s’amuse, ce vieux diable, avec le crime, comme un calculateur hors d’âge se donne encore la migraine à tourmenter les jeux de casse-tête. La ligne droite lui déplaît ; il fait mille tours et mille détours futiles, sous prétexte de cacher la piste de ses pas, sans comprendre que chaque tour et chaque détour produit une piste nouvelle.

Écoutez un apologue : J’avais un oncle qui était voiturier dans le Quercy, un pays terrible pour les essieux.

Mon oncle avait commandé un essieu en acier fondu à la forge de Cahors, et l’essieu dura très longtemps, malgré les roches et les ornières ; mais un beau jour, son valet lui dit : « L’essieu s’en va, il faudrait le changer. »

Mon oncle se fâcha. Un si bon essieu ! qui avait résisté à tant de cahots ! Je crois même que mon oncle renvoya son valet.

Mais un beau jour, l’essieu, qui avait trop servi, se rompit et mon oncle eut les reins brisés.

Vous pouvez me renvoyer si vous voulez, comme le valet de mon oncle, mais je vous dis que votre colonel, fût-il en acier fondu, a servi de trop et qu’il est temps de le remplacer.

— Par qui ? demanda Lecoq.

Il regarda tour à tour ses trois compagnons, qui détournèrent les yeux.

— Si c’est par moi, reprit-il avec la rondeur effrontée qu’il affectait en certaines occasions, je veux bien ; si c’est par