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Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/103

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Ne vaudrait-il pas mieux aller droit à mon maître, Captain Thomas ; en appeler à sa justice, implorer sa pitié ? Sa pitié ! L’image d’Henny, estropiée, mutilée, abandonnée, se levait devant moi. — Mais si la compassion est absente, l’intérêt est présent. Captain Thomas ne consentira pas à ce que sa marchandise soit endommagée, il y va de ses écus ! — Et mon parti fut pris.

Sept milles, en droite ligne, me séparaient de Saint-Michel. Incapable, semblait-il, de franchir la distance, exténué de travail, épuisé par la perte du sang, les flancs meurtris des caresses ferrées que m’avait octroyées Covey ; je rampai néanmoins du côté de Saint-Michel, tandis que le dompteur de noirs regardait ailleurs.

Pour audacieux que fût le pas, il était fait. — À mi-chemin du bois, Covey se retourne :

— Ici ! ici ! beugle-t-il : Amenez mon cheval !

On l’amène, on le selle. Covey saute dessus. Mais j’avais atteint la forêt, je m’étais enseveli dans un impénétrable fourré. Excité par mes efforts, le sang jaillit à nouveau ; je me sentais faiblir : Si j’allais saigner à mort ! Expirer, déchiqueté sous le bec des vautours !

Tandis que l’ombre descendait, qu’un peu de fraîcheur la pénétrait, que mes cheveux matelassés sur la blessure, en coagulaient par degrés le sang ; mon âme parcourut toute l’échelle de la pensée : de l’athéisme au doute, du doute à la certitude, de la certitude à l’espoir. Et comme la nuit se faisait, que la foi me rentrait au cœur, je repris mon chemin. Quatre heures après, j’arrivais à Saint-Michel.