Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/107

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prier Captain Thomas ; ces moqueries de la religion m’avaient replongé dans le doute ; et je ne priai pas.

Ou mourir de faim, ou périr l’esprit broyé, le corps lacéré sous le bâton de Covey, telle était l’alternative. Couvert de sang caillé, en détresse, aux abois, je me faisais horreur à moi-même. Pour la seconde fois, j’aurais volontiers échangé mon humanité contre la bestialité d’un taureau.

La nuit vint. Personne, durant le jour, ne m’avait poursuivi. Covey comptait sur la faim pour me ramener. Tout à coup, j’entends un pas ; je m’ensevelis sous les feuilles ; le pas s’avoisine, je discerne une forme noire : c’était Sandy, brave compagnon, esclave loué par son maître à un planteur du district.

Sandy allait passer le dimanche chez sa femme, libérée, qui possédait une maisonnette à Poppie Neck. Je me levai, je marchai droit à lui ; je le mis au fait de ma situation. Lui demander de me cacher dans son cottage, je n’y songeais pas ; il aurait encouru la sentence : trente-neuf sanglées — peut-être pis — décrétée contre tout nègre recéleur d’esclave ! Mais Sandy, renommé parmi nous pour son bon sens et son bon cœur, avait l’âme trop généreuse pour ne point secourir, fût-ce à son dam, un frère blessé, affamé, désespéré. Il me conduisit chez sa femme. Compatissante et dévouée autant que lui, vite elle pétrit une galette de maïs ; tous les deux rivalisèrent de tendresse envers moi. Mes frères noirs m’aimaient ; ils estimaient très-haut ma science ; j’étais le seul d’entre eux qui pût lire. Un autre nègre, esclave de M. Hugh Hamilton, en savait autant que