Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/110

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donnait, avant jour, d’aller fourrager les chevaux. L’ordre fut exécuté.

Durant le repos dominical de la veille, j’avais pris une résolution : me défendre en cas d’assaut. Mes vues spirituelles, en matière de support, s’étaient singulièrement modifiées. Ma religion ne liait plus mes mains. L’indifférence de Captain Thomas, avait coupé le dernier anneau de la chaîne. J’étais retourné sur ce point : le droit de riposte, à la commune opinion ; et je n’attendais qu’une occasion, pour faire connaître à frère Covey, à sa piété du dimanche, l’apostasie de son esclave noir.

Chevaux étrillés, écurie balayée, je gravissais l’échelle qui menait au fenil, lorsque Covey, blotti dans l’angle, d’un bond est sur moi, me saisit les jambes, et s’efforce d’y passer le nœud coulant qu’il tient en main. Son rire de loup relevait déjà sa lèvre. Certain du triomphe, il ne pensait guère aux furies qu’il démuselait ! Cet homme dont, quarante-huit heures auparavant, un mot me faisait trembler comme la feuille sous l’orage ; je lui empoigne la gorge, j’y plante mes ongles. Plus souple qu’un tigre, l’ivresse du combat dans la tête, il n’y a plus ni blanc ni noir, ni esclave ni maître : le maître, c’est moi ! À chaque effort qu’il tentait pour se relever, je rabattais Covey sur le sol, évitant de le frapper toutefois. Il me tenait, je le tenais, et ne lâchais pas.

— Oses-tu bien ? faisait-il de sa voix étranglée.

Et moi, froidement : — Oui, monsieur.

— Hugues ! Au secours !