Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/146

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Renseignés par les annonces de journaux qui signalaient chaque esclave fugitif, les espions se tenaient aux embûches.

L’argent triomphe de bien autres obstacles. Mais où le prendre ?

Une idée me vint : Si au lieu de louer mes bras pour le compte du maître, j’achetais au maître l’usage de mon temps ! — La chose se pratiquait à Baltimore. Moyennant un prix fixe, soldé au maître chaque samedi, l’esclave travaillait comme et quand il voulait, thésaurisant le surplus de la somme exigée.

Propriété de Captain Thomas, toujours, j’attendis une de ses visites pour lui adresser ma proposition. Un regard sévère me transperça :

— Tu cherches à t’évader ! fit-il : Où que tu ailles, je te retrouverai. — Puis, d’un ton plus doux : — Laisse-là tes projets. Conduis-toi sagement. Je pourvoirai à ton avenir.

Ce langage, conciliant peut-être, ne me rassura pas.

Deux mois plus tard, je présentais même requête à maître Hugues. Pris à l’improviste, il écouta mes raisons, les pesa, trouva qu’en fin de compte sa bourse gagnerait au marché, et consentit, moyennant trois dollars par semaine — je restais chargé de ma nourriture, de mes vêtements, de l’achat des outils — à me vendre mon temps.

Tout onéreux qu’il fût — outils et vêtements s’usaient vite au chantier ; sans compter que pour le calfateur, chaque jour de pluie est un jour de chômage — le contrat me permit d’accumuler, à force de travail, quel-