Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/314

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conclu qu’à Jamesville, les chevaux sont plus civilisés que les hommes.

Un éclat de rire général répondit à l’histoire, et, dès ce jour, la même table réunit toutes les couleurs.

J’allais de Cleveland à Buffalo — il y a bien longtemps. — Le steamer glissait sur les eaux du lac, par la plus claire des nuits, lorsque retentit le gong du souper. Rudes natures que celles des passagers à bord ; gens avec lesquels, surtout lorsqu’ils avaient les dents longues, plaisanter n’était pas badinage ! Au premier son, une avalanche de gaillards se précipite en bas. Laissons passer. J’attends la seconde tablée, je descends à mon tour, et me place vis-à-vis d’un gentleman de haute taille, à la blonde chevelure, au front élevé, à la barbe soyeuse, aux traits grecs, au teint mat ; un de ces hommes dont tout l’aspect vous dit : C’est quelqu’un !

J’avais à peine déployé ma serviette, qu’accourt le steward[1] :

— Partez de là ! fait-il.

Je continue mon repas, comme si de rien n’était.

— Partez de là !

Même immobilité. J’étais jeune, j’étais fort, j’avais de bons poings, et ne craignais pas de m’en servir.

— Partez de là !

Levant les yeux à cette troisième sommation, je me vois flanqué, droite et gauche, de deux Hercules noirs, les acolytes du steward !

En face de moi, le front du gentleman s’était creusé

  1. Maître d’hôtel.