Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/322

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vaises fortunes ; tantôt hué, tantôt acclamé, ma carrière a été heureuse. L’indifférence ne m’a ni bronzé contre les antipathies, ni refroidi à l’endroit des succès. — Mais derrière les choses transitoires, je sens les choses éternelles. Appuyé sur celles-ci, je puis affronter celles-là.

— Qu’éprouvez-vous ? me demandait jadis M. X : Quand dans les rues, la canaille… et des gens qui ne sont pas elle… vous montrent au doigt ? que pleuvent les quolibets ?

— Qu’un âne a rué, mais qu’il n’a blessé personne.


Laissez-moi terminer par un aveu.

Lorsqu’en 1879, j’appris que mon buste, exécuté sur l’ordre de mes amis, venait d’être, en grande cérémonie, placé dans la Sibley Hall, université de Rochester ; et que des voix, trop prévenues en ma faveur, avaient déclaré « justement mérité » l’hommage offert à Frédérik Douglass ! mon cœur battit d’orgueil.

Il palpita d’une plus douce émotion, cette nuit où, étendu seul, la tête enveloppée d’un plaid, dans un compartiment de première classe, Central rail-road, je m’écriai, voyant paraître un gentleman à la portière :

— N’entrez pas ici, ne vous asseyez pas là : Je suis nègre !

Et où l’intrus, ainsi apostrophé, riposta :

— Hé, nègre ou non ! Que diantre cela me fait-il ?


Cette fois, le mur mitoyen était à bas.