Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/42

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la plantation. Mais comme les couplets lui jaillissaient mieux de la poitrine, alors que délégué à la Grande Maison, il conduisait son attelage au travers des forêts ! — Je ne les oublierai pas, ces notes plaintives, ces notes sauvages, si tristes et si gaies à la fois ; vibration lointaine du libre désert.

Tout enfant, elles me navraient l’âme. L’éloge du maître y retentissait d’ordinaire. Fallait-il point caresser l’orgueil des Lloyd ?

« Je vais à la Grande Ferme,
Oh oui, oh oui, oh oui !
Vieux maître est un bon vieux maître,
Oh oui, oh oui, oh oui ! »

Chemin faisant, stances s’ajoutaient aux stances, toutes improvisées, en un jargon inintelligible au lecteur. Mais quoi ! l’esclave en comprenait la tragique signification. — Je l’ai souvent pensé : si les strophes ainsi jetées au vent, s’étaient déroulées jusque vers le Nord ; elles auraient mieux que des volumes, raconté les horreurs du système.

On a osé inventer, en preuve du bonheur des noirs, ce fait de leurs danses et de leurs chansons. Chansons et danses, exprimaient plus la douleur que la joie ; ainsi que les larmes, elles leur soulageaient le cœur. Il n’y a pas d’inconsistance, à revêtir de mêmes accents, des émotions opposées[1]. Tout comme le bonheur, la détresse se prend à chanter.

  1. Quoi de plus désespéré que les désolations, quand elles éclatent dans le mode majeur ! — Trad.