Page:FR631136102-Discours pour le tricentenaire de la naissance de Blaise Pascal - A 34544.pdf/65

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des forces, les Descartes, les Newton, les Leibnitz, les Fermat, se sont, en quelque sorte, anéantis dans leur œuvre. Le débutant manie en se jouant les formules qui leur ont coûté tant d’efforts, sans que leurs noms illustres éveillent en lui une émotion ou un souvenir. Quelques anecdotes pittoresques ou ridicules sur leurs distractions, quelques légendes qui symbolisent puérilement leurs doctrines, quelque loi abstraite à laquelle ils servent de parrains, et c’est tout. Qu’ont-ils pensé, qu’ont-ils souffert, quelle inspiration les a soutenus à travers d’âpres sentiers ? De cela, rien ne subsiste. La démarche môme de leur raison est abolie. Ils sont comme ces affluents venus des hautes montagnes à un grand fleuve qui roule pêle-mêle vers la mer leurs eaux confondues.

Pascal au contraire, par son tourment autant que par son génie, s’est acquis une gloire éternellement jeune. Il vit parmi nous, il est de notre époque comme il fut des précédentes. Il est moderne aujourd’hui comme il le sera demain. Ce fils de la femme qui n’a pas vécu quarante ans et dont les écrits tiendraient en un volume, a laissé une trace si profonde que nul penseur après lui ne l’a pu négliger. Tous sont tombés en arrêt devant lui, beaucoup pour l’admirer et l’aimer, d’autres pour le plaindre, certains pour le railler. « Fou sublime né un siècle trop tôt », dira Voltaire et Cousin dénoncera « sa piété convulsive ». Enthousiasmes ou sarcasmes, soit : mais pour en parler sans passion, aucun ! Les doctrines, les écoles les plus opposées se réclament de son autorité et de son patronage. Suivant qu’on s’adresse en effet à une des trois phases qu’il a traversées — celle où il se donnait à la science, en laissant à la religion son domaine séparé, celle où il oscillait entre la science et Dieu, celle où il était tout à Dieu — suivant que, dans les suprêmes antithèses de ses Pensées, arguments de raison et non ligures de rhétorique, on s’attache à une thèse ou à la thèse contraire, chaque philosophie, chaque génération peut interpréter Pascal conformément à elle-même et lui emprunter des formules maîtresses écrites en lettres de feu