Page:Fabre, La bête du Gévaudan, Floury, 1930.djvu/192

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entière, — de longs mois d’angoisse et de tristesse, au milieu de péripéties émouvantes, de terribles anxiétés et d’espérances déçues, — se déroula sur ces cimes désolées une lutte épique entre ces tenaces montagnards et cette bête infernale.

Oh ! combien elle parut longue à tous, cette année douloureuse ! Combien longue aux chasseurs, si fréquemment sur pied, si fréquemment aux aguets ! Combien longue aux pauvres parents dont les nuits étaient hantées de pénibles cauchemars, et qui craignaient à chaque heure de voir à un deuil récent se joindre un deuil nouveau !

L’histoire de la Bête, en cette période, est difficile à établir. Officiellement, le monstre était mort, puisque sa dépouille, envoyée à Versailles, avait satisfait la curiosité de la Cour.

Les pouvoirs publics ne peuvent, ni ne doivent se tromper : par suite, avaient cessé les relations entre la Cour et les Intendants des pays dévastés. Plus de rapports officiels, plus de primes promises, de sorte que l’on n’a, pour se renseigner, que les inscriptions sur les registres de paroisse et quelques lettres conservées par les archives locales.

Comme personne n’avait été mis officiellement à la tête des chasses, le comte d’Apchier, seigneur de la Clause et de Besque, à proximité de la paroisse de Saugues, prit la direction des chasseurs, et, avec les meilleurs tireurs, essaya de délivrer le pays de ce fléau redoutable. Il connaissait le vieil adage : « Ne t’attends qu’à toi seul. » Et sa ténacité ne devait pas rester vaine et stérile.

Le 14 février, le monstre s’attaque à Jeanne Delmas, du moulin de Badouille, paroisse de Lorcières.

Cette femme cassait la glace avec un hoyau, lorsqu’elle vit le monstre se dresser pour se jeter sur elle. Le hoyau para les premiers coups et arrêta les premiers assauts, mais après quelques instants de lutte acharnée, la Bête, sautant sur sa victime, lui fit trois ouvertures à la jugulaire et une à la joue droite où le pouce entrait aisément, blessures très dangereuses que le prieur de Lorcières avait pansées lui-même en attendant le secours d’un homme de l’art. Cela fait, elle avait pris la fuite.