Page:Fabre, La bête du Gévaudan, Floury, 1930.djvu/200

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chaîne des Margerides, dont il est l’un des plus hauts sommets (1550 mètres). Là, la Bête était chez elle ; là, elle narguait les meutes, défiait les chasseurs et les chevaux, et ne s’inquiétait guère des battues, rendues inutiles par les difficultés du terrain. D’épais taillis de hêtres, la déclivité des pentes, la facilité de se dérober et de s’enfuir au loin sans être aperçue, la défendaient de ses ennemis. De son repaire, elle rayonnait sur plusieurs paroisses, échelonnées autour du Montmouchet : Nozeirolles d’Auvert, qui sera la plus maltraitée ; la Besseyre-Saint-Mary, où ne se trouve aucun village qui n’ait été ensanglanté par un meurtre, et tout ensemble, terrifié par les attaques insolentes du monstre ; Venteuges, dont les hameaux et les villages cachés dans les bois, Pépinet et Sauzet, lui fournissent plusieurs victimes ; Grèzes, Paulhac, au sommet du col, Saint-Privat-du-Fau, et au-dessous le Malzieu qui ne sont point épargnés.

La Bête avait des recoins favoris où elle se tenait à l’affût : le passage qui donne accès à la ferme des Broussous, de Paulhac, où quatre personnes furent, deux dévorées, deux attaquées ; le carrefour où aboutit le vallon de Meyronne où furent mangés deux enfants de Sauzet, et plusieurs assaillis, mais réchappés ; un repli de terrain, près du Liconès… etc.

Traquée sur le Montmouchet, elle avait tôt fait de se couler dans le vallon aux pentes rapides qui s’allonge sans mesure le long du mince ruisseau qu’est la Dège, et, sans arrêt, par un brusque crochet, se jetait dans le val étroit de Meyronne, pour dépister les poursuites, et gagner, au loin, la direction du bois des Chazes. Là, elle était encore chez elle.

Si les chasseurs avaient pris une autre direction, la Bête, au repos, tapie derrière quelque roche, au sommet du Montmouchet, d’où la vue plonge si profondément dans la vallée, voyait, des villages épars, les troupeaux sortir au pacage, gardés par deux ou trois enfants, la pique en main, en un lieu découvert, puisqu’il était interdit de s’arrêter à proximité des bois. Alors, à pas de loup, — jamais l’expression ne fut plus exacte, — le monstre s’avançait derrière un mur, un buisson ou une roche, et parvenu à courte distance, se jetait sur l’enfant le plus proche, et l’emportait. Mais il arrivait, parfois, que le premier moment d’épouvante passé, les enfants faisaient front avec leurs piques,