Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/92

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vieillesse dans un obscur poulailler. Le lendemain de leur arrivée, les bambins se distribuent une série d’accidents : l’un attrape un coup de soleil, l’autre se jette dans un puits ; le plus petit fait une dent au milieu de cris aigus.

Par le même train ou le même bateau, est arrivé un célibataire seul qui vient chercher au grand air le sommeil qui le fuit et recouvrer l’appétit qu’il a perdu. Le hasard veut qu’on lui donne la chambre voisine de celle occupée par la famille ci-dessus décrite. Une simple cloison les sépare. Il lui est donné de connaître en une seule nuit toutes les joies de la famille. Il entend les enfants se plaindre tour à tour, la femme gémir et le mari gronder ; et il ne ferme pas l’œil un instant. Le lendemain, l’estomac creusé par l’insomnie, il s’élance vers son déjeuner ; mais les baigneurs ont, de bonne heure, dévasté les tables ; on lui sert un reste de gigot qui lui paraît avoir été déjà mangé une fois au moins.

Je pourrais multiplier les scènes, mais je m’arrête et je réduis toutes mes observations à une seule.

À Cacouna, à la Rivière-du-Loup, à Tadousac, etc., on ne rencontrait depuis trois semaines que des citadins qui se plaignaient de la campagne et regrettaient de n’être pas chez eux. À travers les vitres d’une fenêtre d’hôtel suintant la pluie, la ville apparaissait bien belle et fort douce à habiter. C’est étonnant aussi comme, du fond dur d’un lit d’auberge, votre lit ordinaire vous semble bon !

Si la pluie n’avait pas cessé, la campagne était déshonorée. On allait l’abandonner de toutes parts. Bien des campagnards, troublés dans leurs habitudes, faisaient des préparatifs pour aller passer l’été à la ville ! Mais le soleil a paru, le beau temps est revenu, les champs reverdissent, et personne ne songe plus à partir.

La nature, si bien rafraîchie, est ravissante ; la verdure a des nuances délicieuses, les couleurs en sont à la fois plus vives, plus douces et plus profondes. Il y a double plaisir,