Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/118

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qui l’habille. De ma classe sont sortis des avocats surtout, des prêtres, des marchands, des médecins, un aubergiste, un bottier, des inconnus, à part moi, chroniqueur.


La question d’argent domine en ce moment toutes les autres ; il faut que j’en parle, si je ne veux pas que cette chronique manque d’actualité. Ne vous effrayez pas cependant, ce n’est pas un alignement de chiffres que vous allez avoir sous les yeux, ni des manœuvres de Bourse que je vais vous décrire.

La banqueroute est considérée par bien des gens comme le premier échelon de la fortune. Un commis entendu passe marchand ; il s’établit sans argent et avec une ombre de crédit. Après un an, deux ans, plus ou moins, il est au bout de sa corde ; il a beau y faire des nœuds, il faut qu’elle casse, et il n’a pas le sou pour la renouveler ! Une seule ressource lui reste, s’il ne veut pas redevenir commis. Il n’y a que la banqueroute qui lui puisse donner le capital dont il a besoin. Sa conscience hésite, mais ce qu’on appelle le sens commercial l’emporte. Il se résigne gaiement à faillir ; un arrangement à l’amiable liquide ses affaires, lui assure un fonds de magasin et un crédit nouveau. Parfois une seconde banqueroute est nécessaire : c’est le grand coup de dé. Lorsqu’il faut avoir recours à une troisième opération de ce genre, il est rare qu’elle ne soit pas fatale.

Un des côtés les plus curieux de la comédie de l’argent au Canada est celui-ci : c’est que le talent d’un négociant, le secret du succès, ne consiste pas tant à capter les bonnes pratiques qu’à fuir les mauvaises, à engager les gens à beaucoup acheter qu’à les amener à ne point acheter au-dessus de leurs moyens. Le négociant n’a d’autre protection que sa prudence. Il peut vendre tant qu’il veut, car ceux à qui il vend savent