Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/119

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qu’ils peuvent échapper à la nécessité du paiement : l’issue de la banqueroute leur est toujours ouverte. C’est donc à lui à se borner et à ne vendre que ce qu’on est en état de lui payer.

Aussi parmi nous, ce qu’on appelle les marchands serrés réussissent-ils mieux que les grands négociants. Tôt ou tard ceux-ci roulent dans l’abîme que les faillites du petit commerce ont creusé sous leurs pas.

Le négociant naïf qui essaie de transplanter ici les habitudes du négoce européen, est victime de ses illusions commerciales. Il s’établit et les pratiques accourent : toutes les pratiques dont les autres marchands n’ont pas voulu. Il s’empresse pour satisfaire et retenir la magnifique clientèle qui lui arrive. Il fait goûter de son meilleur vin à celui-ci, invite celui-là à déjeuner chaque fois qu’il vient en ville ; il tutoie l’un et va voir au collège les enfants de l’autre, en leur portant des cargaisons de bonbons. Sa diplomatie a un succès éblouissant ; les ventes vont un train d’enfer, le magasin se vide. Le quart d’heure de Rabelais arrive, cependant ; tous protestent de leur envie de payer, plusieurs même donnent des à-comptes, mais personne ne paie en plein. Le négociant se multiplie, s’épuise pour faire face aux billets de ses clients qui lui reviennent non-payés. À la fin de l’année, c’est une perte nette du capital, une ruine totale. Le malheureux négociant succombe d’un excès de ventes.

Les fréquentes catastrophes particulières qui troublent le commerce ont souvent aussi une autre cause. La société canadienne vit au-dessus de ses moyens, trop grassement ; il n’y a guère que les gens riches qui y soient économes. Il faudra tôt ou tard que nous nous mettions au régime suivi par les petits bourgeois en Europe, car petits bourgeois nous sommes tous ou presque tous.