Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/122

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heureux et qui s’en retourne accablé de gibier. Il l’entraîne derrière un arbre et le corrompt. Le gibier passe d’une main à l’autre. Le Nemrod improvisé va faire un tour au fond des bois pour se donner le désordre d’un homme qui a poursuivi avec frénésie des oiseaux qui ont disputé chèrement leur vie ; puis, il rentre heureux et triomphant au logis.

Le récit qu’il fait de sa campagne est semé des plus poignantes péripéties : cette tourte planait au loin, lorsqu’un coup admirablement tiré l’a abattue, et il n’y a eu qu’une voix parmi les chasseurs pour applaudir à tant d’adresse ; cette perdrix se croyait sauvée, cachée qu’elle était dans un épais feuillage, quand elle est tombée mortellement frappée. En poursuivant avec trop d’ardeur ce lièvre blessé, il a failli se noyer dans un ruisseau grossi par les récentes pluies.

La famille est convoquée pour écouter les récits de l’heureux chasseur, et faire festin des produits de sa chasse. Il s’épanche, narre ses exploits, dépeuple les forêts, dévaste la plaine : aucun oiseau n’est à l’abri de ses coups ; tandis que les convives mangent avec un appétit assaisonné d’admiration.

Je dînais l’autre jour chez un chasseur. Le dîner était abondant, comme c’est l’habitude dans les familles canadiennes. L’enfant de la maison mangeait comme quatre. Le père voulait mettre un frein à l’appétit dévorant de son héritier, mais la bonne mère semblait contrariée de cette intervention arbitraire :

— Songe donc, lui dit mon ami d’un ton profondément convaincu, songe donc au revers de la médaille !