Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne restera pas grand’chose à sa femme. Elle va être forcée de porter un petit deuil, vous verrez ça comme moi. Je ne lui en veux pas, la pauvre femme, quoiqu’elle n’ait jamais été polie pour ma femme depuis qu’elle a été invitée chez les de R. ; mais ça apprendra aux autres à ne pas faire du ton, avant d’être sûres d’avoir de quoi en faire après la mort de leurs maris.

Au milieu d’un groupe attentif pérore l’homme toujours bien informé, qui connaît tous les détails de la dernière maladie. Il était là lorsque le pauvre homme est tombé malade ; il était encore là lorsqu’il est mort ; c’est lui qui a recueilli son dernier soupir et calmé les cris des enfants qui demandaient leur père. On l’envoyait chercher chaque fois que le malade avait une crise ; il lui faisait plus de bien que le médecin. S’il est mort, ce n’est pas sa faute.

De temps à autre, on voit apparaître à la porte de la maison un autre ami du défunt, qui distribue des bulletins sur l’état de l’affliction de la veuve et des proches.

— La pauvre femme pleure depuis trois jours, elle n’a plus de larmes. Je lui ai dit que le cortège serait nombreux : cela l’a ranimée un peu, elle a versé encore quelques pleurs.

Dix minutes après.

— Cela va mieux. Elle m’a demandé de venir lui dire, après les funérailles, comment les choses se seront passées.

Un peu plus tard.

— Nous venons de passer un mauvais moment. Le petit Henri, qui n’est pas d’âge à comprendre l’affreux malheur qui vient de le frapper, a voulu jouer du tambour. Il y a huit jours qu’on le prive de son instrument favori, il s’en ennuie et, à force de fureter, il a remis la main dessus. Il a fallu le lui ôter avec peine et misère. Le gamin a crié comme si on l’égorgeait, protestant qu’il allait le dire à son père. Vous jugez de l’effet de cette vaine menace ! La mère a recommencé à se désoler et les autres enfants à sangloter. C’était une scène