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Lorsque l’Angleterre nous fiança au Haut-Canada, le fiancé n’était pas de notre goût. La lune de miel ne fut point agréable, et le jeune mari ne sut pas détruire la fâcheuse impression qu’avait produite le fiancé. C’était à qui ne céderait pas à l’autre. Il nous rudoyait, nous nous entêtions ; cela finissait par des coups. Un seul membre de la famille nous plaisait, c’était M. Baldwin, et il ne commandait point encore.

Enfin arriva le jour fortuné où on le vit assis à la tête de la table, à côté de M. LaFontaine. Il y eut grande fête, et l’on goûta à des plats nouveaux pour les Canadiens-Français, les plats ministériels. La sauce fut trouvée excellente ; et il y en a qui s’en lèchent encore les lèvres.

Le festin dura trois ans, lorsqu’un jour, sur un incident malheureux, M. Baldwin quitta la table. M. LaFontaine le suivit de près.

Depuis lors nous avons été souvent brouillés avec la majorité haut-canadienne, mais, en somme, les choses n’ont pas été trop mal. Le Haut-Canada n’est pas aussi féroce qu’il en a l’air. Il fait grand bruit avec ses souliers ferrés, mais il n’écrase personne. Il n’y a qu’à lui tenir tête ; il s’adoucit et devient presque tendre. Un jour, à l’avènement du ministère Sicotte, on le surprit rêvant sous nos fenêtres. Il ne demandait, disait-il, qu’un cœur qui partageât sa flamme. Nous eûmes tort de l’empêcher de tomber à nos pieds. Il y serait encore ; et nous ne serions pas au bras du grand époux fédéral, dont le caractère nous est inconnu.

Espérons que cette fois nous célébrerons la cinquantaine.

Ce n’est point encore tout-à-fait un mariage d’amour que nous faisons là ; c’est un mariage de convenance. L’âge, la position des époux, sont assortis. Si nous ne ressentons pas une grande passion pour les provinces qui nous sont unies, du moins nous n’en aimons pas d’autre. Bien n’empêche qu’un solide attachement ne naisse de nos relations constantes. Ce ne sont pas toujours les gens les plus épris qui font les