Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/181

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l’horizon, éclairait à la fois les sommets des deux provinces et leurs verts coteaux. Ses rayons, traversant l’espace, tiraient tout à coup de l’ombre le Nouveau-Brunswick et illuminaient le tombeau de la vieille Acadie. Pâles et décolorés, ils allaient mourir dans les plaines de la Nouvelle-Écosse, où Howe reverdissait tout à coup, tandis que Tupper tombait fané avant l’heure.

Le Haut-Canada nous regarda longtemps nous éloigner. Peut-être songeait-il, involontairement, au temps où nous nous sommes rencontrés pour la première fois et où nos grands parents, sévères et cruels en apparence, mais au fond plus sages et plus prévoyants que leurs enfants mutinés, nous unirent malgré nous.

Nous étions riches alors, pour ce temps-là du moins. Notre conjoint, s’il avait plus que nous l’entente des affaires, n’apportait dans la société que des dettes et un crédit si mauvais, qu’avec toute l’aide qu’on en pouvait tirer, on n’aurait pas racheté la garde-robe de Wm. Lyons Mackenzie, qui ne passait pas cependant pour se vêtir avec luxe. Cela ne nous a pas empêchés de faire fortune ensemble ; mais il n’en est pas moins vrai de dire que sans la monnaie de cuivre frappée à l’effigie de nos habitants, que l’on dédaigna bientôt, comme aujourd’hui l’on dédaigne les trente sous, M. Merritt serait mort avant d’avoir vu le canal Welland couler au bord de son jardin.

Dans l’instant qui a suivi la séparation, le Haut-Canada a-t-il songé à tout cela ? Il n’a point coutume de se laisser aller aux accès de sensibilité. Et cependant, d’instinct, il sentait que nous étions le compagnon, l’ami qu’il lui avait fallu pour traverser, sain et sauf, des moments difficiles. Que de fois ne l’avons-nous pas empêché de se rompre le cou, en nous opposant à des entreprises téméraires, à de scabreuses imitations du savoir-faire américain ? Nous avons adouci les