Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/188

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Liesse : et même je continuai, durant quelque temps, à prendre plaisir à cet éloge perfide.

Le réveil fut cruel. Un homme grave qui s’intéressait à mon avenir, me prit à part.

— Savez-vous ce que l’on dit de vous ? me demanda-t-il.

— Oui, non, peut-être ; dites toujours.

— Vous ne vous blesserez pas de ma franchise ?

— Comment donc ! allez.

— Eh bien ! l’on dit que vous n’avez pas de jugement !

Je ne m’attendais pas à recevoir un coup aussi rude, une blessure dont je compris de suite toute la gravité. En un instant, je vis pourquoi je n’avais pas de rentes, pourquoi je ne suis pas député, pourquoi ce vieux coquin de X… ne s’abonne pas à mon journal, pourquoi enfin je serai toujours suspect aux sots !

Depuis lors, je n’aime pas que l’on m’appelle spirituel confrère, et vous m’obligeriez, mon cher rédacteur, en ne me donnant ce petit nom d’amitié, qui m’a déjà fait trop de mal, que dans la plus secrète intimité. Si même j’avais quelque chose à demander à mon confrère V., qui a du jugement, et à mon autre confrère X., qui a du tact, ce serait de me traiter parfois de bon administrateur.

Je leur rendrais cela sous la forme qui leur paraîtrait la plus agréable.


La session et le carnaval se sont donné la main pour nous quitter en même temps ; et, dans quelques jours, tous les ministres locaux seront partis. Tout nous manque à la fois : plus de bals, pas de séance, aucune nomination. Les jolies femmes jeûnent, les députés sont retirés au logis électoral, le gouvernement chôme et l’État s’endort. C’est à faire ronfler un journaliste en plein article.

Ce coin de la ville, naguère si animé, qui s’étend de l’édi-