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SCÈNE II.

La scène se passe au village de ***. La place de l’Église est à moitié remplie d’électeurs, de femmes et d’enfants. Du perron de l’Église on aperçoit un délicieux paysage, un bois touffu, profond, peu élevé, qui ombrage une petite rivière vive et limpide ; mais le paysage politique envahit complètement la scène.

Le Candidat. — Libres et indépendants électeurs de la paroisse de ***, je viens solliciter vos suffrages pour la prochaine élection. Vous me connaissez tous : les plus vieux d’entre vous étaient les camarades et les amis de mon père. Vous avez vieilli ensemble, et si, comme bien d’autres, il est parti avant vous, si vous n’avez pu le retenir pour continuer la route côte à côte, du moins vous avez conservé dans vos cœurs son souvenir, le souvenir de ses vertus, de son amitié, de sa probité. Et moi, moi qui porte son nom, j’ai été élevé, pour ainsi dire, par vous, vous qui êtes vieux ; avec vous, vous qui êtes jeunes. Vieillards, je suis votre fils ; jeunes gens, je suis votre frère.

Ce n’est pas par ambition que je veux me faire élire, c’est pour vous, c’est dans votre intérêt. Je voudrais que notre représentant fût de la paroisse. Assez longtemps nous avons été chercher notre député hors de chez nous ; assez longtemps nous nous sommes laissé dicter notre choix par les autres paroisses. Il est temps que cela cesse, et que cette paroisse, la plus riche, la plus populeuse, la plus intelligente du comté, remporte le prix dans le concours électoral comme dans les concours agricoles.

Vous êtes ceux qui contribuez le plus à la prospérité, à la bonne renommée du comté ; c’est à vous d’y faire la loi. Je n’aurais pas sollicité vos suffrages, si des citoyens plus âgés et plus influents n’avaient pas refusé de les briguer. Je leur ai offert la candidature. J’ai offert la candidature à M. P., qui m’a répondu : « Comment voulez-vous que moi, qui