Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/253

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monde cependant, il ne néglige personne ; il fait la cour aux vieilles filles, reconduit les mères de famille à leur voiture, porte la santé du maître de la maison au souper et tient compagnie aux vieilles invitées qu’un fort appétit a retenues à table après les autres dames. C’est ainsi qu’il se forme un renom mondain qui lui permettra de croquer un jour la plus belle dot, sans que personne puisse y trouver à redire. Bref, Messieurs, parti à peu près de rien, sans grands talents, sans figure, il est arrivé, il arrivera. Je ne connais à son habileté qu’un point faible ; c’est qu’il n’en garde pas bien le secret. Séduit par ses propres récits et heureux de s’y retrouver tel qu’il veut être, il raconte aux uns comment il a berné les autres. Cela donne l’éveil et pourrait nuire à sa fortune.

— Bravo ! Martel, s’écrièrent à la fois les jeunes gens, c’est bien tapé.

— Pardon, Messieurs, reprit Martel, je dois reporter vos applaudissements à qui ils reviennent de droit. C’est Blandy qui a parlé de lui-même par ma bouche ; c’est lui qui s’est immolé par mes mains. J’ai emprunté à ses spirituelles confidences les traits les plus frappants du portrait.

— Martel est trop modeste, reprit le docteur, j’ai été sa victime et non son collaborateur. Il y a du vrai cependant dans ce qu’il dit, mais ce n’est pas à moi à le crier sur les toits. Avant tout, je suis sincère envers moi-même, et je ne me cache rien. Défauts et qualités, je sais tout sur mon propre compte, et parfois je cède au plaisir de me raconter aux autres.

— À la question, s’écria Duport en se versant un nouveau verre d’eau-de-vie, ou la fin du débat m’échappera dans les fumées de cette généreuse boisson. Tom, ajouta-t-il en se tournant du côté du garçon de bar, Tom, vous n’avez jamais eu de meilleure eau-de-vie.

— À la question, exclamèrent les jeunes gens.

— Messieurs, dit Blandy, en trempant ses lèvres dans son verre de sherry, je n’ai plus qu’un quart d’heure à vous