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LA CHAMBRE LOCALE À VOL D’OISEAU

je vais dessiner devant vous, telle qu’on peut l’observer de la galerie des journalistes. Nous sommes là une quinzaine qui avons pour pâture les nouvelles, et pour idole le public. Penchés chaque nuit vers la Chambre, afin de recueillir les moindres sons de d’éloquence parlementaire, le plus léger soupir du ministre qui s’endort sous le harnais ou du député qui s’éveille pour voter, nous passons nos jours à écrire ce que nous n’avons pas toujours entendu.

Chacun a sa nuance d’opinion et son genre de talent. Les uns s’attachent à reproduire fidèlement les paroles des orateurs — c’est là, pour parler franc, un métier de chien ; les autres, s’élançant des ordres du jour, s’élèvent dans les hautes sphères de la politique lyrique ou voltigent le long des nouvelles. Celui-ci se plaît à peindre sous de brillantes couleurs le député qui a le don de lui plaire, et celui-là à immoler sur l’autel de la patrie le député qui lui prend sur les nerfs.

De temps à autre, la galerie s’accorde une récréation. Elle se retire dans ses quartiers. On nous a réservé un coin dans l’édifice, et ce coin, propice au travail et même à la causerie, est charmant. On y peut vivre séparé du reste du monde, si l’on veut, confiné dans le sein de la presse, notre vieille bavarde de mère. Ceux qui aiment le paysage n’ont qu’à se mettre à la fenêtre ; ceux qui se complaisent dans les orages du cœur n’ont qu’à rentrer en eux-mêmes.

Nous laissons nos armures et les souvenirs de polémique au pied de l’escalier, en entrant. L’adversaire disparaît sous le confrère, et les gens de talent s’y rendent la justice qu’ils se refusent trop souvent dans les journaux. La paix et la concorde règnent en ces lieux d’où partent les écrits qui mettent le feu aux quatre coins du pays. La postérité ne connaîtra rien de nos entretiens. L’un fait des mots, l’autre les assaisonne, un troisième les met sur le feu : nous les savourons à la ronde.

Mais revenons à la galerie des journalistes. Au-dessous de