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LA CHAMBRE LOCALE À VOL D’OISEAU

nous s’étend la Chambre, les sommets touffus ou plus ou moins dénudés, et frappés de la foudre, des députés. Les compte-rendus ne donnent jamais un tableau complet de la Chambre. On y parle rarement de ce que surprend le regard. Les députés n’ont point de secret pour nous ; nous voyons jusqu’au fond de leurs pupitres, et parfois aussi jusqu’au fond de leurs cœurs. Mais, par profession, nous sommes discrets. S’ils écrivent sur papier rose ou vert, il nous est bien difficile de ne pas nous en apercevoir. La façon dont ils couvrent de la main la moitié du papier, le soin calligraphique tout particulier qu’ils prennent, le front qui s’illumine, trahissent le sujet de la correspondance, le tendre secret. De notre observatoire, nous voyons commencer les amours entre les ministres et les députés dits indépendants, naître le premier désir, s’échanger les premiers regards, s’accorder les premiers gages. Nous savons tout, avant que le vote ne vienne rendre publique la secrète alliance.

Il y a trois catégories de députés : ceux qui parlent, ceux qui écoutent, ceux qui fument, sans compter ceux qui plaisent aux dames et leur rendent les séances agréables. Les orateurs, s’ils n’avaient pas des auditeurs attitrés qui simulent l’attention, ne parleraient souvent que pour les galeries et les rapporteurs. On écoute un député la première fois qu’il parle, pour voir comment il se tire d’affaire, pour voir s’il a une voix de ténor ou de baryton : rarement la seconde. En général, aussitôt qu’un député se lève, un tiers de ses collègues se lèvent en même temps et disparaissent dans la direction du comité de la pipe. C’est spontané et irrésistible. On dirait qu’il y a un ressort dans les fauteuils, et qu’aussitôt qu’il cesse d’être comprimé à un endroit, il se soulève sur toute la ligne et fait sauter les députés.

Le comité de la pipe a joui d’une grande renommée. C’était là où, disait-on, au milieu des nuages de fumée, se décidait le sort des ministères. Aujourd’hui, ce n’est plus guère qu’une