Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle se fait donner des primes par les petits marchands qu’elle encourage, à qui elle accorde la pratique des maisons où elle sert.

Nous n’en sommes pas encore là, mais cela viendra.


Parmi les hommes, on remarque les pères de famille qui font leur marché en gens d’affaires, s’arrêtant devant les étaux ou les voitures que juste le temps de choisir ce qu’il leur faut. On les voit bientôt regagner le bureau.

Faire le marché est pour d’autres une partie de plaisir. Ils vont lentement, choisissent à loisir, admirent en silence les bonnes choses qu’ils ne peuvent acheter, connaissent toutes les revendeuses par leurs noms et remarquent celles qui manquent à mesure que l’âge les force à la retraite. Ils s’arrêtent de temps à autre pour causer avec les autres habitués, et échanger des observations générales ou des conseils particuliers. Au lieu de la locution invariable, qui sert, même les jours de pluie : « beau temps, aujourd’hui, » ils s’abordent en disant : « beau marché, aujourd’hui. »

Il ne faut pas oublier parmi les habitués l’homme qui va au marché depuis 1830 et qui philosophe volontiers sur la hausse des prix. Demandez-lui combien coûtait le beurre frais dans l’été de 1841 : il vous le dira. C’est un tableau vivant des prix des marchés depuis trente-cinq ans :

« Le bœuf perd la tête, vous dit-il, et ne sait plus s’arrêter à un prix raisonnable. Il forcera les gens à s’en passer. Il faudra inventer une autre viande pour la soupe. La pomme, le fruit du Canada, s’en va. C’est un coup pour notre nationalité. La fameuse composait avec le sucre d’érable notre insigne national, bien mieux que ce castor que l’on représente si souvent sur nos bannières sous la figure d’un lapin. Nos neveux ne mangeront que des pommes américaines, pitoyable