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« — La Mare-aux-Chardonnerets est connue dix lieues à la ronde. Tu verras, nous allons remplir la cage, j’en suis sûr. Oh ! Méniquette sera contente !

« — Méniquette ! Qui est-ce Méniquette ?

« — Méniquette Ortios, ma cousine, tu sais bien ?…

« — Cette fille que mon oncle le curé a placée chez les dames Fangeaud, à la Grand’Rue, pour apprendre la couture ?

« Celle-là même. Méniquette adore les oiseaux ; elle, avait à Octon des chardonnerets, des pinsons ; mais ton oncle, qui l’a élevée à la cure et la regarde comme son enfant, n’a pas voulu lui laisser emporter sa cage à Lodève, prétextant qu’elle la distrairait trop de la couture. Ma cousine s’ennuie maintenant loin de ses pauvres petites bêtes, et je lui ai promis de venir en attraper d’autres ici… Tiens, voici Grangelourde ! »

« Je vis devant moi une grande maison carrée, massive et noirâtre. Le cadran solaire, blanchi à la chaux depuis peu, faisait tache sur la façade de la ferme, d’un brun uniforme et doux à l’œil. L’aiguille marquait onze heures. Nous tournâmes à gauche, et, après trois cents pas environ, nous nous arrêtâmes : nous étions aux bords de la Mare-aux-Chardonnerets.

« Le vaste plateau de l’Escandorgue renferme dans ses couches géologiques, entre ses larges bancs de sable et de gravier, de nombreuses masses de basalte. Ces blocs, partis des entrailles mêmes de la montagne, viennent s’épanouir à sa surface, affectant mille formes capricieuses et bizarres. On les voit tantôt monter droit vers le ciel en se dentelant comme des flèches gothiques, tantôt se dresser lourdement comme des pyramides d’Égypte. Le plus souvent, cependant, ils s’aplatissent au niveau du sol, s’évident en entonnoir vers le milieu, et forment de vastes conques, ovales ou rondes, où s’amassent les eaux de pluie.

« C’est dans le voisinage de ces bassins plus ou moins profonds que sont bâties les quelques fermes de l’Escandorgue. La lande étant d’une aridité africaine, les paysans se sont groupés autour de ces citernes naturelles, où se désaltère le bétail, leur seule richesse possible.

« Dès le matin, les troupeaux de Grangelourde viennent boire à la Mare-aux-Chardonnerets ; puis on les pousse au large, et l’eau, un moment troublée, vaseuse, redevient calme et d’une limpidité de cristal. Alors arrivent, des potagers de la ferme et des profondeurs de la lande, en chantonnant, en voletant, en décrivant toutes sortes de courbes gracieuses,