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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/130

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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

cuivrés. Son bec est aussi plus droit et plus pointu. Très facilement il se fait reconnaître parmi la gent noire des corneilles et des corbeaux, au signe caractéristique de son métier. Il a la peau du front et des entournures du bec toute dégarnie de plumes, blanche, farineuse et comme cicatrisée. L’oiseau naît-il en cet état ? Nullement. De même que l’ouvrier maniant de rudes et lourdes pièces gagne à ses mains de nobles durillons, de même le freux acquiert au travail les cicatrices galeuses de son front. C’est un fervent piocheur, et sa pioche est le bec, qu’il enfonce en terre aussi profondément qu’il peut. Par un frottement continuel contre le sol, le front et le tour entier de la base du bec perdent leurs plumes, deviennent chauves, s’écorchent même et se couvrent de rugueuses cicatrices. Le but du freux en cette pénible besogne est d’atteindre les vers blancs et toutes les mauvaises larves, fléau des terres cultivées. J’en vis un jour de très occupés, dans un champ inculte, à soulever et retourner les pierres éparses çà et là. Ils y allaient avec tant d’ardeur, qu’ils faisaient sauter à hauteur d’homme les pierres les moins lourdes. Or devinez ce qu’ils cherchaient, si affairés. Ils cherchaient des insectes et toute espèce de vermine. À ce métier de retourneurs de pierres et de piocheurs, les freux ne peuvent manquer d’endommager l’outil, le bec, et d’en déplumer la base.

J’aurais en grande estime ces oiseaux s’ils se bornaient à la chasse des insectes et des vers ; malheureusement, ils ont un goût très prononcé pour les graines germées, friandise sucrée qui leur inspire d’ingénieux moyens de s’en procurer. On dit qu’ils ont l’habitude d’enfouir des glands, et qu’ils les retrouvent longtemps après, quand la germination leur a fait perdre leur saveur acerbe.

Émile. — Ce n’est pas mal imaginé pour une corneille. Le gland amer et dur est mis confire dans la terre. Quand il juge la préparation à point, le freux, qui a bonne mémoire, revient à son atelier de confiserie, déterre le gland devenu tendre et d’agréable saveur, et s’en régale.

Paul. — Jusque-là, rien de blâmable : un boisseau de glands de plus ou de moins, ce n’est pas une affaire ; volontiers je l’abandonne aux freux pour exercer leur curieuse industrie. Mais toute graine en germination leur convient pareillement ; le blé surtout, si facile à se procurer l’hiver dans les terres nouvellement ensemencées. Quand je vois une bande