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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

Louis. — J’en suis sûr maintenant : la chauve-souris se nourrit de proie.

Émile. — C’est un chasseur avide de carnage. Le chat n’a pas des dents plus féroces d’aspect.

Paul. — Tout cela est fort juste ; les dents vous ont très bien appris le trait principal des mœurs de la bête. Oui, la chauve-souris est un chasseur, un mangeur de proie vivante, un petit ogre à qui toujours il faut de la chair fraîche. Reste à savoir le genre de gibier qui lui convient. Évidemment ce gibier doit être proportionné à la taille du chasseur. La tête d’une chauve-souris n’est guère plus grosse qu’une forte noisette. La gueule, il est vrai, est fendue d’une oreille à l’autre, et peut, quand elle bâille en plein, engloutir des bouchées que ne feraient pas soupçonner les faibles dimensions de l’animal. N’importe, la chauve-souris ne doit s’attaquer qu’à de très petites espèces. Que peut-elle poursuivre dans les airs lorsque, après le coucher du soleil, elle voltige, allant et venant sans cesse ?

Jules. — Les moucherons peut-être, les papillons du soir ?

Paul. — Effectivement, voilà sa proie. La chauve-souris ne se nourrit que d’insectes. Tous lui sont bons : scarabées à dures élytres, maigres cousins, papillons grassouillets, les papillons crépusculaires surtout, phalènes, bombyx, teignes, pyrales et autres, enfin ces ravageurs de nos céréales, de nos vignes, de nos arbres fruitiers, de nos étoffes de laine, qui, attirés par la clarté, viennent, le soir, se brûler les ailes aux lampes des habitations. Qui pourrait dire le nombre des insectes que les chauves-souris détruisent quand elles font la ronde autour d’une maison ! Le gibier est si petit, et la faim du chasseur est insatiable.

Observez ce qui se passe dans une calme soirée d’été. Attirés au dehors par la douce température des heures crépusculaires, une foule d’insectes quittent leur retraite et viennent, convives des fêtes de la vie, se jouer ensemble dans les airs, chercher leur nourriture, s’apparier. C’est l’heure où les sphinx volent brusquement d’une fleur à l’autre pour enfoncer leurs longues trompes au fond des corolles suant le miel ; l’heure où le cousin, avide du sang de l’homme, fait bruire son chant de guerre à nos oreilles et choisit sur nous le point le plus tendre pour y plonger sa lancette empoisonnée ; l’heure où le hanneton quitte l’abri de la feuillée, déploie ses