Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

l’aurore et du crépuscule. Ils quittent donc leurs retraites, pour chercher la proie, au commencement ou à la fin de la nuit. Ils font alors chasse fructueuse, car ils trouvent les petits animaux endormis ou sur le point de s’endormir. Les nuits où la lune brille sont pour eux les plus propices, nuits de joie et de bombance, pendant lesquelles ils chassent longtemps et s’approvisionnent de riches victuailles. Mais si la lune fait défaut, ils n’ont guère qu’une heure le matin et une heure le soir pour chercher leur nourriture. Des chasses de si peu de durée les exposent à de longs jeûnes. Aussi comme ils s’en donnent, comme ils se gorgent quand le gibier abonde !

Émile. — Ils sont bien nigauds de jeûner ; à leur place, je chasserais toute la nuit, même quand la lune ne donne pas.

Paul. — Vous donnez ce conseil au hibou parce que vous le croyez capable de voir clair dans la nuit la plus noire. C’est là une erreur. Voir, ce n’est pas précisément diriger nos regards vers les objets vus, c’est recevoir dans nos yeux la lumière envoyée par ces objets. Dans la vision, rien ne s’échappe de nous ; tout vient de la chose vue. En prenant les mots dans leur acception naturelle, nous ne lançons pas nos regards vers l’objet considéré ; c’est l’objet lui-même qui lance vers nous sa lumière ; s’il n’en envoie pas, il est par cela même invisible. Ce que je vous dis là de l’homme s’applique mot pour mot à tous les animaux. Aucun, absolument aucun ne voit en l’absence de lumière.

Louis. — J’ai toujours cru que les chats voyaient dans la plus complète obscurité.

Paul. — D’autres le croient pareillement, mais bien à tort. Pas plus qu’un autre, il n’est capable de distinguer les objets si la lumière manque totalement. Il a sur nous, je le reconnais, un avantage. Ses grands yeux, dont il peut rétrécir et fermer presque l’ouverture quand il se trouve exposé à une vive lumière qui l’offusquerait par son abondance, ou l’agrandir pour recevoir en plus grande quantité les faibles clartés répandues dans un endroit obscur ; ses grands yeux, dis-je, lui permettent de se guider en des lieux où, pour notre vue moins bien avantagée, ne règnent que ténèbres impénétrables. Mais ce sont en réalité d’incomplètes ténèbres, où le chat trouve un peu de lumière, qui lui suffit. Si la lumière fait totalement défaut, le chat en vain écarquille les yeux : il n’y voit plus, ce qui s’appelle plus. Sous ce rapport, les oiseaux nocturnes ne