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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

Mais cette ampleur des organes de la vue, si favorable de nuit, leur est un grave embarras au milieu des vives clartés du jour. Ébloui, aveuglé par les rayons du soleil, l’oiseau des ténèbres se tient dans quelque cachette, d’où il n’ose plus sortir. S’il est contraint de la quitter, il le fait avec une extrême circonspection, crainte de se heurter. Son vol hésite, son essor est court et lent. Les autres oiseaux, ceux du plein jour, s’apercevant de sa gêne et de sa peureuse gaucherie, viennent à l’envi l’insulter. Le rouge-gorge et la mésange accourent des premiers, suivis du pinson, des merles, des geais, des grives et de bien d’autres. Perché sur quelque branche, l’oiseau de nuit répond aux agresseurs par un grotesque balancement de corps ; il tourne de çà et de là sa grosse tête d’un air ridicule, il roule ses yeux effarés. Vaines menaces. Les plus petits, les plus faibles sont les plus ardents à le tourmenter ; on l’assaille à coups de bec, on le plume sans qu’il ose se défendre.

Émile. — Voyez-vous cela, la mésange taquine et le pétulant rouge-gorge qui viennent se moquer du hibou aveuglé par le soleil ! Et dans quel but, s’il vous plaît, ces bravades des petits oiseaux ?

Paul. — Dans le but de se venger un peu d’un ennemi. Il arrive au hibou de les croquer pendant la nuit, sans plus de scrupule que s’ils étaient de vulgaires souris. Aussi quelle fête pour le petit peuple ailé quand, de fortune, l’oiseau nocturne s’égare en plein jour ! Les coups de bec tombent dru comme grêle sur le dos du patient ; on l’assourdit de huées, de cris de victoire, de moqueurs caquetages. Le rouge-gorge lui tire une plume, la mésange lui menace les yeux, le geai lui débite des injures. Tout le bocage est en émoi. Mais gare que la nuit approche ; le courage va mollir aux plus hardis. Ces mêmes petits oiseaux qui viennent pendant le jour provoquer le hibou avec tant d’audace et d’opiniâtreté, le fuient et le redoutent dès que l’obscurité lui permet de se mettre en mouvement et de faire usage de ses armes, fortes serres et bec crochu.

Émile. — Le rouge-gorge fait bien de s’éloigner du hibou quand celui-ci voit clair ; il payerait cher la témérité de lui tirer une plume.

Paul. — À cause de l’ampleur de leurs yeux, il faut aux oiseaux de proie nocturnes une lumière douce comme celle de