Même de nos jours, les poètes provençaux, familiers avec la Cigale tout autant qu’Anacréon, ne sont guère soucieux du vrai en célébrant l’insecte qu’ils ont pris pour emblème. Un mes amis, fervent observateur et réaliste scrupuleux, échappe à ce reproche. Il m’autorise à extraire de son portefeuille la pièce provençale suivante, où sont mis en relief, avec pleine rigueur scientifique, les rapports de la Cigale et de la Fourmi. Je lui laisse la responsabilité de ses images poétiques et de ses aperçus moraux, fleurs délicates étrangères à mon terrain de naturaliste ; mais j’affirme la véracité de son récit, conforme à ce que je vois tous les étés sur les lilas de mon jardin. J’accompagne son œuvre d’une traduction, en bien des cas approximative, le français n’ayant pas toujours l’équivalent du terme provençal.
Jour de Dièu, queto caud ! Bèu tèms pèr la cigalo,
Que, trefoulido, se regalo
D’une raisso de fiò ; bèu tèms pèr la meissoun.
Dins lis erso d’or, lou segaire,
Ren plega, pitre au vent, rustico e canto gaire :
Dins soun gousiè, la set estranglo la cansoun[1].
Tèms benesi pèr tu. Dounc, ardit ! cigaleto,
Fai-lei brusi, ti chimbaleto,
- ↑ Jour de Dieu, quelle chaleur ! Beau temps pour la cigale
— qui,
folle de joie, se régale — d’une averse de feu ; beau temps pour
la moisson. — Dans les vagues d’or, le moissonneur, — reins
ployés, poitrine au vent, travaille dur et ne chante guère ;
— dans son gosier, la soif étrangle la chanson.