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Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, cinquième série, 1897 (IA souvenirsentomol05fabr).pdf/236

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II

Aro veici qu’es pas de crèire.
Ancian tèms, nous dison li rèire,
Un jour d’ivèr, la fam te prenguè. Lou front bas
E d’escoundoun anères vèire,
Dins si grand magasin, la fournigo, eilàbas[1].

L’endrudido au soulèu secavo,
Avans de lis escoundre en cavo,
Si blad qu’aviè mousi l’eigagno de la niue.
Quand èron lest lis ensacavo.
Tu survènes alor, emé de plour is iue[2].

Ié disés : « Fai bèn fre ; l’aurasso
D’un caire à l’autre me tirasso
Avanido de fam. A toun riche mouloun
Leisso-me prène pèr ma biasso.
Te lou rendrai segur au bèu tèms di meloun[3].

 « Presto-me un pau de gran. » Mai, bouto,
Se cresès que l’autro t’escouto,
T’enganes. Di gros sa, rèn de rèn sara tièu.
 « Vai-t’en plus liuen rascla de bouto ;
Crebo de fam l’ivèr, tu que cantes l’estièu. » [4]

  1. Maintenant voici qui n’est pas à croire. — Autrefois, nous disent les anciens, — un jour d’hiver, la faim te prit. Le front bas — et en cachette, tu allas voir, — dans ses grands magasins, la fourmi, sous terre.
  2. L’enrichie au soleil séchait, — avant de les cacher en cave, — ses blés qu’avait moisis la rosée de la nuit. — Quand ils étaient prêts, elle les mettait en sac. — Tu surviens alors, avec des pleurs aux yeux.
  3. Tu lui dis : « Il fait bien froid ; la bise — d’un coin à l’autre me traîne — mourante de faim. À ton riche monceau — laisse-moi prendre pour ma besace. — Je te le rendrai, bien sûr, au beau temps des melons.
  4. « Prête-moi un peu de grain. » Mais va, — si tu crois que l’autre t’écoute, — tu te trompes. Des gros sacs, tu n’auras rien de rien. — « File plus loin, va racler des tonneaux ; — crève de faim l’hiver, toi qui chantes l’été ! »