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qu’un péril très grave même, ne fait pas modifier la piste.

Elles viennent, je suppose, de traverser un épais amas de feuilles mortes, pour elles passage plein d’abîmes, où des chutes à tout instant se répètent, où beaucoup s’exténuent pour remonter des bas-fonds, gagner les hauteurs sur des ponts branlants et se dégager enfin du dédale de ruelles. N’importe : à leur retour elles ne manqueront pas, bien qu’appesanties par leur charge, de traverser encore le pénible labyrinthe. Pour éviter tant de fatigue, que leur faudrait-il ? Se dévier un peu du premier trajet, car le bon chemin est là, tout uni, à peine à un pas de distance. Ce petit écart n’entre pas dans leurs vues.

Je les surpris un jour allant en razzia et défilant sur le bord interne de la maçonnerie du bassin, où j’ai remplacé la vieille population batracienne par une population de poissons rouges. La bise soufflait très fort et, prenant en flanc la colonne, précipitait des rangs entiers dans les eaux. Les poissons étaient accourus ; ils faisaient galerie et gobaient les noyés. Le pas était difficile ; avant de l’avoir franchi, la colonne se trouvait décimée. Je m’attendais à voir le retour s’effectuer par un autre chemin, qui contournerait le fatal précipice. Il n’en fut rien. La bande chargée de nymphes reprit la périlleuse voie, et les poissons rouges eurent double chute de manne : les fourmis et leur prise. Plutôt que de modifier sa piste, la colonne fut décimée une seconde fois.

La difficulté de retrouver le domicile après une expédition lointaine, à capricieux détours, rarement les mêmes dans les diverses sorties, impose certaine-