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transforme le monde, avait quelque chose de fondé ; si réellement le mieux doué écartait de la scène le moins bien doué ; si l’avenir était au plus fort, au plus industrieux, n’est-il pas vrai que depuis qu’elle fore des bouts de ronce, la race des Osmies aurait dû laisser éteindre les faibles, qui s’obstinent à la sortie commune, et les remplacer jusqu’au dernier par les vigoureux perforateurs de pertuis latéraux ? Il y a là un progrès immense à faire pour la prospérité de l’espèce ; l’insecte y touche, et il ne peut franchir l’étroite ligne qui l’en sépare. La sélection a certes eu le temps de choisir, et, cependant, s’il y a quelques succès, les insuccès dominent et de beaucoup. La lignée des forts n’a pas fait disparaître la lignée des impuissants ; elle reste inférieure en nombre, ce que de tout temps elle a été sans doute. La loi de sélection me frappe par sa vaste portée ; mais toutes les fois que je veux l’appliquer aux faits observés, elle me laisse tournoyer dans le vide, sans appui pour l’interprétation des réalités. C’est grandiose en théorie, c’est ampoule gonflée de vent en face des choses. C’est majestueux, mais stérile. Où donc est la réponse à l’énigme du monde ? Qui le sait ? Qui jamais le saura ?

Ne nous attardons pas davantage au milieu de ces ténèbres, que nos vaines théories ne dissiperont pas ; revenons aux faits, aux modestes faits, le seul terrain qui ne s’effondre pas sous les pieds. L’Osmie respecte le cocon de sa voisine, et son scrupule est tel, qu’après avoir essayé vainement de se glisser entre ce cocon et la paroi, ou bien de s’ouvrir une issue latérale, elle se laisse mourir dans sa loge plutôt que de passer outre en faisant trouée violente à travers les loges occupées.