Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/162

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fait-il& ; viens vite : un Sphex traîne sa proie sous les platanes, devant la porte de la cour ! » – Mis au courant de l’affaire par mes récits, distraction de nos veillées, et mieux encore par des faits analogues auxquels il avait assisté dans notre vie aux champs, Émile avait vu juste. J’accours et j’aperçois un superbe Sphex languedocien, traînant par les antennes une Éphippigère paralysée. Il se dirige vers le poulailler voisin et paraît vouloir en escalader le mur, pour établir son terrier là-haut, sous quelque tuile du toit ; car, au même endroit, quelques années avant, j’avais vu pareil Sphex accomplir l’escalade avec un gibier, et élire domicile sous l’arcade d’une tuile mal jointe. Peut-être l’Hyménoptère actuel est-il la descendance de celui dont j’ai raconté la rude ascension.

Semblable prouesse va probablement se répéter, et cette fois-ci devant nombreux témoins, car toute la maisonnée, travaillant à l’ombre des platanes, vient faire cercle autour du Sphex. On admire la familière audace de l’insecte, non détourné de son travail par la galerie de curieux ; chacun est frappé de sa fière et robuste allure, tandis que, la tête relevée et les antennes de la victime saisies à pleines mandibules, il traîne après lui l’énorme faix. Seul parmi les assistants, j’éprouve un regret devant ce spectacle. – « Ah ! si j’avais des Éphippigères vivantes ! » ne puis-je m’empêcher de dire, sans le moindre espoir de voir mon souhait se réaliser. – « Des Éphippigères vivantes ? répond Émile ; mais j’en ai de toutes fraîches, cueillies de ce matin. » Quatre à quatre, il monte les escaliers, et court chez lui, dans sa petite chambre d’étude, où des enceintes de dictionnaires servent de parc pour l’éducation de quelque belle chenille du Sphinx de l’Euphorbe. Il m’en rapporte trois Éphippigères, comme je ne pouvais en désirer de mieux, deux femelles et un mâle.