Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/187

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roches mousseuses, grandes ombres des arbres séculaires, toutes ces choses enfin, qui donnent tant de charme aux autres montagnes, ici sont inconnues et font place à une interminable couche de calcaire fragmenté par écailles qui fuient sous les pieds avec un cliquetis sec, presque métallique. Les cascades du Ventoux sont des ruissellements de pierrailles ; le bruissement des roches éboulées y remplace le murmure des eaux.

Nous voici à Bédoin, tout au pied de la montagne. Les pourparlers avec le guide sont terminés, l’heure du départ est convenue, les vivres sont discutés et se préparent. Essayons de dormir, car demain il y aura une nuit blanche à passer sur la montagne. Dormir, voilà vraiment le difficile ; jamais je n’y suis parvenu, et la principale cause de fatigue est là. Je conseillerais donc à ceux de mes lecteurs qui se proposeraient une ascension botanique au Ventoux, de ne pas se trouver à Bédoin un dimanche au soir. Ils éviteront le bruyant va-et-vient d’un café-auberge, les interminables conversations à haute voix, l’écho des carambolages dans la salle de billard, le tintement des verres, la chansonnette après boire, les couplets nocturnes des passants, le beuglement des cuivres du bal voisin, et autres tribulations inévitables en ce saint jour de désœuvrement et de liesse. Reposeront-ils mieux dans le courant de la semaine ? je le souhaite, mais n’en réponds pas. Pour mon compte, je n’ai pas fermé l’œil. Toute la nuit, le tourne-broche rouillé, fonctionnant pour nos victuailles, a gémi sous ma chambre à coucher. Je n’étais séparé de la satanée machine que par une mince planche.

Mais déjà le ciel blanchit. Un âne brait sous les fenêtres. C’est l’heure : levons-nous ! Autant eût valu ne pas se coucher. Provisions de bouche et bagages chargés, ja ! hi ! fait notre guide, et nous voilà partis. Il est quatre heures du matin. En tête de la caravane