foule de figures qui vous prenaient par l’œil ; mais hélas ! c’était aussi d’un prix ! ah ! d’un prix ! Qu’importe : mes somptueux revenus, mes 700 francs ne devaient-ils pas suffire à tout, nourriture de l’esprit comme celle du corps. Ce que je donnerai de plus à l’une, je le retrancherai à l’autre, balance à laquelle doit fatalement se résigner quiconque prend la science pour gagne-pain. L’achat fut fait. Ce jour-là, ma prébende universitaire reçut saignée copieuse : je consacrai à l’acquisition du livre un mois de traitement. Un miracle de parcimonie devait combler plus tard l’énorme déficit.
Le livre fut dévoré, c’est le mot. J’y appris le nom de mon Abeille noire ; j’y lus pour la première fois des détails de mœurs entomologiques ; j’y trouvai, enveloppés à mes yeux d’une sorte d’auréole, les noms vénérés des Réaumur, des Huber, des Léon Dufour ; et, tandis que je feuilletais l’ouvrage pour la centième fois, une voix intime vaguement en moi chuchotait : « Et toi aussi, tu seras historien des bêtes ». — Naïves illusions qu’êtes-vous devenues ! Mais refoulons ces souvenirs tristes et doux à la fois, pour arriver aux faits et gestes de notre Abeille noire.
Chalicodome, c’est-à-dire maison en cailloutage, en béton, en mortier ; dénomination on ne peut mieux réussie, si ce n’était sa tournure bizarre pour qui n’est pas nourri de la moelle du grec. Ce nom s’applique, en effet, à des Hyménoptères qui bâtissent leurs cellules avec des matériaux analogues à ceux que nous employons pour nos demeures. L’ouvrage de ces insectes est travail de maçon, mais de maçon rustique plus versé dans le pisé que dans la pierre de taille. Étranger aux classifications scientifiques, ce qui jette grande obscurité dans plusieurs de ses mémoires, Réaumur a nommé l’ouvrier d’après l’ouvrage, et appelé nos bâtisseurs en pisé Abeilles maçonnes : ce qui les peint d’un mot.