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Page:Fabre - Souvenirs entomologiques edition7 Serie 9.djvu/167

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LES ÉPEIRES

effarement. Lorsque ma paille la décide à faire quelques pas, je la vois lever les pâlies avec certaine difficulté. Elle tiraille un peu, traîne les tarses au point de rompre les fils d’appui. Ce n’est plus la marche d’une preste funambule ; c’est le pas hésitant d’une empêtrée. Peut-être les gluaux sont-ils plus tenaces que chez elle. La glu est de qualité différente, et les sandales ne sont pas graissées au point qu’exigerait la nouvelle viscosité.

Toujours est-il que, pendant de longues heures, les choses restent en l’état, l’Épeire fasciée immobile au bord de la toile, l’autre retirée dans sa hutte, toutes les deux apparemment fort inquiètes. Le soleil couché, l’amie de l’obscur reprend courage. Elle descend de son pavillon de verdure et, sans se préoccuper de l’étrangère, va droit au centre de la toile, où la conduit le fil télégraphique. Saisie de panique à cette apparition, l’Épeire fasciée se dégage d’un soubresaut et disparaît dans le fourré de romarins.

Recommencée à diverses reprises avec des sujets différents, l’épreuve ne m’a pas donné d’autres résultats. Peu confiante en une toile non conforme à la sienne sinon par la structure, du moins par la viscosité, l’audacieuse Épeire fasciée se fait poltronne et refuse d’attaquer l’Epeire diadème. Cette dernière, de son côté, ne bouge de son manoir diurne dans le feuillage, ou bien y rentre précipitamment après un rapide coup d’œil donné à l’étrangère. Elle y attend la venue de la nuit. À la faveur de l’obscur, qui lui rend courage et activité, elle reparaît sur la scène et met en fuite l’intruse par sa seule apparition, au besoin par quelques bourrades. La victoire reste au droit opprimé.

La morale est satisfaite, mais n’en félicitons pas