Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une cause et qu’il faut avoir conscience que l’on a manifesté sa volonté pour pouvoir se considérer soi-même comme une cause ». — Et l’on voit bien qu’à remonter à son principe, au principe de l’illusion qui le constitue, « le libre arbitre a son père et sa mère dans la fierté et dans l’orgueil humains. — Je dis cela peut-être un peu trop souvent ; mais ce n’est pas une raison pour que ce soit un mensonge. »

On devrait réfléchir à cela quand on se trouve en présence d’un criminel qu’on a à juger. Il faut, évidemment, protéger la société contre ceux qui la gênent [Nietzsche n’a jamais varié là-dessus et même il est protecteur de la société extrêmement dur], mais quant à punir, c’est une aberration. Le criminel seul sait à quel point il est coupable, ou plutôt il ne le sait pas ; mais il le sait incomparablement plus que vous. Il connaît tout l’enchaînement des circonstances extérieures et intérieures qui l’ont amené à son crime, ou plutôt il ne les connaît pas, mais, comparé à vous, il les connaît. Il s’ensuit « qu’il ne considère pas, comme son juge ou son accusateur, que son acte est en dehors de l’ordre et de la compréhension ». Vous, juge ou accusateur, vous êtes étonné, stupéfait d’un acte que vous n’avez pas commis et qu’il vous a été impossible de commettre, et vous « mesurez exacte-