Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/150

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être, volonté de puissance, et c’est cet être comme desséché et énervé, qu’elle croit qui va être utile aux autres hommes ! Sa prétention et sa tactique consistent à dériver vers le bien général l’activité de chaque particulier ; soit ; mais elle commence par briser tous les ressorts de cette activité même. Elle fait des esclaves et en espère les effets et les bienfaits du travail libre ; elle fait même pis ; elle fait des hommes-outils, des hommes-instruments ; elle essaye de donner à l’homme cette « ténacité aveugle, qui est la vertu typique des instruments », et c’est de ces hommes matérialisés, de ces hommes déchus de toute humanité qu’elle espère un travail utile pour l’humanité.

Au fond, l’altruisme tourne dans un cercle vicieux ou s’engage dans une impasse.

Il tourne dans un cercle vicieux qui est celui-ci : « Travaille pour autrui, sois désintéressé. » Oui, mais qui dit cela ? Autrui. De sorte que c’est l’intérêt qui conseille le désintéressement et qui le réclame. On est fondé à lui répondre comme au renard qui a la queue coupée : « Retournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra. « Pour conseiller le désintéressement il faudrait être désintéressé soi-même. L’altruisme « ne pourrait être décrété que par un être qui renoncerait par là, lui-même, à son avantage et qui risquerait d’amener, par ce sacri-