Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/151

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fice exigé des individus, sa propre chute. » Mais si l’être (prochain, autrui, société) qui me demande le sacrifice de moi en tire ou seulement croit en tirer un grand avantage, il conseille le désintéressement par intérêt, il conseille l’altruisme par égoïsme, et par conséquent il se contredit, et par sa parole il dit : « Sacrifie-toi », et par son exemple il dit : « Ne te sacrifie pas. » Qui prétend-il, qui espère-t-il convaincre ?

Voilà le cercle vicieux.

Et l’impasse, c’est ceci :

Vous dites, vous, autrui, vous communauté, vous société : « Soyez forts pour moi. — Soit, mais comment ? — En étant faibles pour vous. Commencez par détruire en vous toutes vos forces et puis soyez forts à mon service. N’ayez pas de passions ; mais soyez passionnés pour moi. Ne tendez pas à persévérer dans l’être, mais appliquez-vous de toute votre énergie à faire que je persévère dans le mien. Annihilez-vous pour me procurer une force. Soyez un rien pour que de tous ces riens que vous serez se compose une force immense qui sera moi. » — Voilà l’impasse. L’altruisme dit à l’homme de marcher en avant après qu’il a dressé un mur devant lui ; et, pour changer de métaphore, il lui dit de marcher en avant après lui avoir coupé les tendons des jambes.