Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/157

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chose à part, une institution définie et à peu près comprise par tout le monde comme institution définie (époque de Socrate chez les Grecs). Ce moment est certainement le moment de première décadence. Il y a un temps où la lassitude se retourne contre la vie, où « l’instinct de dégénérescence » se dirige contre le vouloir-vivre avec « une souterraine soif de vengeance », et c’est, ou le temps de Socrate, ou celui du Christianisme, ou celui de la philosophie de Schopenhauer, ou celui « dans un certain sens déjà » de la philosophie de Platon, et c’est même « l’idéalisme tout entier » ; mais enfin il arrive toujours un moment où l’homme veut se dérober à la vie, ne lui donne plus son acquiescement, n’affirme plus la bonté de la vie, passions comprises, qui sont les formes mêmes de la vie, et n’affirme plus les forces mêmes de la vie, souffrances comprises, qui sont les rançons de la vie, inséparables d’elle, sanctions d’elle et conditions d’elle ; et c’est alors que la morale est constituée et qu’on la comprend bien comme constituée et que tous les hommes ont au moins le sentiment confus qu’elle est constituée.

En d’autres termes, la moralité n’est pas autre chose qu’une faiblesse, une lâcheté et une maladie de l’humanité. C’est une espèce de neurasthénie générale et contagieuse. Cette maladie ayant ses causes profondes, et aussi ses démarches régulières,