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et aussi son hygiène, a assez bon air en somme et se fait accepter comme quelque chose de bon et de sain. Ses causes lui servent de justifications. Pourquoi vivre éperdûment, pourquoi la vie intense, puisque nous sommes faibles et impuissants et vers de terre ? Vivons conformément à notre nature. — Les démarches régulières de cette maladie sont prises, de leur côté, pour des lois et des règles de conduite et l’on s’habitue à voir l’humanité se dirigeant, d’étape en étape, vers une moralité toujours plus pure, toujours plus stricte, toujours plus correcte, et ce progrès dans l’affaiblissement, dans le « progrès » lui-même, paraît une ascension très vénérable. — Et enfin cette maladie ayant son hygiène, son régime, hygiène et régime paraissent des vertus, et professeurs de vertu ceux qui les prescrivent. — Et cependant c’est la maladie qui s’installe, qui s’enracine, qui se développe, qu’on cultive avec soin et qui devient une diathèse ; et il semble que l’homme n’est pleinement rassuré et pleinement satisfait que quand elle est devenue incurable.

La morale, en effet, on ne sait trop pourquoi, exerce sur les esprits, même sur ceux qui pensent, et peut-être faut-il dire surtout sur ceux qui pensent, un véritable prestige d’hypnotisation. Elle semble intangible. On discute Dieu, le monde