Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/170

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que cette sauvage avidité, cette iniquité de l’amour sexuel ait été glorifiée et divinisée à un tel point et à toutes les époques ; oui, que, de cet « amour » on ait fait sortir l’idée d’amour en opposition à l’égoïsme, tandis qu’il est peut-être l’expression la plus naturelle de l’égoïsme. » — Le véritable amour ne connaîtrait pas la jalousie. C’en serait le signe ; et s’il existe c’en est la marque, et il n’y en a pas d’autre. Mais les amants savent si bien que l’amour sans jalousie n’existe pas ou n’existe guère que précisément de la jalousie ils font le signe et la marque de l’amour et qu’ils disent toujours : « Tu n’es pas jaloux, tu ne m’aimes pas » ; alors qu’il faudrait dire en bonne psychologie : « Tu n’es pas jaloux, tu ne t’aimes pas. » Mais ils savent bien, bons psychologues à leur manière, c’est-à-dire pratiques, que qui n’est pas jaloux est rarement celui qui fait « abstraction de soi, tant il adore, mais presque toujours celui qui, ayant possédé, devient indifférent à sa possession et curieux d’une possession nouvelle » ; et en pratique ils ont bien raison. La jalousie indique que l’on veut posséder et posséder seul, et si elle est marque d’amour, elle démontre que l’amour n’est qu’instinct de propriété. — Que cet instinct de propriété ait été appelé amour au lieu d’être appelé égoïsme, avarice, avidité (avaritia), c’est assez curieux ;